Les parcours singuliers et les belles rencontres font les vies bien remplies, nourrissant la richesse des œuvres. La vie, celle de Mona Soyoc, fut bouleversée lorsque celui qui fut son complice au sein des mythiques KaS Product la perdit, un jour sombre de février 2019. Au tout début des années 80, le regretté Spatsz ne s’était pas trompé lorsqu’il avait compris tout ce que cette jeune Américaine d’origine Argentine passée par l’Angleterre et la Belgique pourrait apporter à sa musique. Un atout dans une ère post-punk, où ils devinrent à l’Est ce que Marquis de Sade devenait à l’Ouest d’un pays commençant à s’extirper partiellement de la « variété ». Une voix, une paradoxale et fascinante fièvre cold wave, et une présence scénique réaffirmée avec brio à partir de 2005 lors des reformations du duo.
La rencontre avec Olivier Mellano s’est faite presque naturellement tant le guitariste est un féru de collaborations au parcours pour ainsi dire trop riche pour n’en point occulter une étape ou l’autre. Dominique A, Mobiil, Bed, John Greaves, Psykick Lyrikah, No Land avec Brendan Perry (Dead Can Dance) et le Bagad Cesson, Baum et son énorme casting (Jeanne Added, Thomas de Pourquery et Daho entre autres), NO&RD, Coddiwomple avec GW Sok (The Ex), des collaborations avec Jambinaï, Dälek, l’Orchestre Symphonique de Bretagne ou encore son projet le plus personnel MellaNoisEscape défendu sur scène en trio avec Miët et Lucie Antunes : personne ne sait mieux que lui comment travailler avec d’autres artistes, et en tirer le meilleur.
Ayant dans l’idée une collaboration qu’elle prévoyait fructueuse, Mona Soyoc contacte Olivier Mellano en 2017, mais c’est seulement au printemps 2019 que se fait réellement la rencontre, avec un pari assez simple : se retrouver en studio et voir ce qu’il peut en sortir. Menée au studio Caverne dans le sud de Paris, l’expérience dépassera les attentes : venus avec quelques bribes de textes et idées griffonnées sur un carnet par Mona depuis quelques mois, le guitariste et la chanteuse improvisent en une seule journée toute la base des titres qui se retrouveront sur l’album dont il est ici question !
Il y a chez Mellano / Soyoc un côté très organique, un équilibre entre une liberté de forme autorisant des titres affranchis du simple couplet / refrain et un sentiment d’urgence, avec cette impression de moment-clé révélé par cette journée de studio.
De premiers concerts fin 2019 les inciteront à se replonger dans ces bandes, à façonner chaque titre, et à valider sur scène, alors en duo, le principe même de leur rencontre, faite d’obscurité mais de chaleur, de calme avant la tempête, et de ces sérénités qui n’arrivent qu’après la plus vive inquiétude.
Le coup d’arrêt imposé par le virus n’empêchera pas, au contraire, de poursuivre le projet en enregistrant l’album à la fin de l’année 2021 avec aux manettes Romain Baousson (qui fut batteur de feu Dominic Sonic, autre figure du rock Rennais) puis en le mixant durant l’hiver suivant avec Nicolas Dick. Déjà présente sur MellaNoisEscape, Valentina Magaletti enrichit le propos de ses pulsations inventives, dont le batteur Uriel Barthélémi, riche d’une carrière internationale et interdisciplinaire donnera sa propre lecture sur scène, pour une formule live qui devient trio.
Sans trop entrer dans les détails de chacun des textes de Mona Soyoc, on découvrira en y prêtant attention un souci permanent de l’être et de l’autre. Trouver sa place, son identité, son être « éternel » autrement dit son Avatar, savoir lire dans le cœur des autres comme dans le sien (Hearts)…
Jusqu’à pouvoir même sauver l’autre, l’ouvrir à une nouvelle vie (Enjoy où affleurent des sujets autour des trafics humains de tous types auxquels Mona Soyoc est très attentive), voire l’aider à se libérer de ses propres murailles (Dragon). Et si parfois le ton se fait plus léger dans le propos comme dans la forme (Idiot), c’est une certaine sérénité qui se dégage de Grateful, écrite après le décès de Spatsz, inconsciemment tournée vers le complice de son premier duo. Et pas le dernier, donc. Tout comme cet album d’ailleurs, car la rencontre a spontanément été envisagée comme une collaboration au long cours.
Restait à trouver un écrin et un nom : la saisissante photo de Christy Lee Rogers proposée par Mellano offrira non seulement à ce premier album un somptueux visuel, mais aussi un titre, puisque l’œuvre visuelle s’appelait déjà Alive. Colorée, étrange et fascinante, à la fois familière et inquiétante, riche sûrement, belle à coup sûr. Une vie. Éveillée !
Après KaS Product, l’icône cold wave Mona Soyoc retrouve un équilibre parfait en faisant équipe avec Olivier Mellano, et leur premier album « Alive » montre combien en effet leur création est vivante et éveillée. Il s’ouvre sur « Enjoy », invitation à démarrer une nouvelle vie. La voix puissante et émouvante de l’américaine trouve un écrin naturel dans ces guitares qui se déploient, rendez-vous réussi pour la rencontre entre deux figures du rock indé made in France.
(photo Christy Lee Rogers)
Émission Côté Club en réécoute.